Pour la Cour fédérale, le harcèlement de la part de l’employeur peut entrer dans la définition de la violence dans le lieu de travail – l’ACIA va-t-elle obéir ?

Pour la Cour fédérale, le harcèlement de la part de l’employeur peut entrer dans la définition de la violence dans le lieu de travail – l’ACIA va-t-elle obéir ?

 Notre syndicat a remporté une grande victoire sur la question de savoir si le harcèlement de la part de l’employeur – dans ce cas-ci l’Agence canadienne d’inspection des aliments – constitue de la « violence au lieu travail » selon la définition qui en est donnée dans le Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail et le Code canadien du travail.

La décision rendue par la Cour fédérale le 13 novembre dernier précise par ailleurs si l’employeur peut être considéré comme une « personne compétente » pour enquêter sur une plainte pour violence dans le lieu de travail et, dans la négative, à quelle étape de la procédure cette personne compétente peut entrer en jeu.

La Cour a entendu une demande d’examen judiciaire d’une décision rendue le 27 janvier dernier par un agent d’appel du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada, lequel agent avait annulé une directive émise par un agent de santé et sécurité (ASS).

Ce cas est d’autant plus important qu’il est le tout premier dans le cadre duquel le Tribunal interprète la définition de « violence dans le lieu de travail » et la marche à suivre en vertu de l’Article 20.9 du Règlement.

 Les faits en jeu étaient les suivants :

 

  • Vers la fin de l’année 2011, un membre du Syndicat de l’Agriculture à l’emploi de l’Agence canadienne d’inspection des aliments en Saskatchewan s’était plaint, par oral et par écrit, de harcèlement de la part de son employeur, alléguant de mauvaises communications, du favoritisme, de l’humiliation, un traitement injuste et un manque de respect de son superviseur.

 

  • En janvier 2012, l’employeur demanda au directeur régional de l’ACIA de procéder à un examen des faits relativement à la plainte en question déposée par le membre.

 

  • Un mois plus tard, après avoir effectué une enquête interne, le directeur régional conclut que même s’il y avait bien des problèmes de communication et une tension non réglée entre le membre et son superviseur, il n’existait pas de preuve de harcèlement et que par conséquent aucune autre enquête n’était nécessaire.

 

  • Le membre concerné demanda immédiatement qu’un agent de santé et sécurité (ASS) fasse enquête sur sa plainte et ce, en vertu du sous-alinéa 20.9(3) du Règlement, prétextant que le directeur régional de l’ACIA n’était pas suffisamment partial pour répondre à la définition de « personne compétence » du même Règlement.

 

  • Lorsque l’ASS informa l’ACIA qu’il lui fallait suivre le processus défini dans le Règlement, l’employeur déclara alors que la plainte du membre ne répondait pas aux critères du Règlement et qu’aucune enquête n’était nécessaire.

 

  • En septembre 2012, l’ASS émit une directive officielle à l’ACIA ordonnant de nommer une personne compétente impartiale pour faire enquête sur la plainte, conformément au Code canadien du travail et au Règlement. L’employeur fit aussitôt appel de cette directive auprès du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada.

 

  • Même si le Code précise bien qu’un appel n’annule pas pour autant l’obligation de respecter une directive, l’ACIA n’en a pas moins ignoré la loi, demandant la suspension de la directive. Après le rejet de cette demande en juin 2013, l’employeur a continué d’ignorer la loi jusqu’à l’année suivante.

 

  • Le 27 janvier dernier, un agent d’appel du Tribunal a accueilli l’appel et annulé la directive de l’ASS, l’agent avançant que l’allégation de harcèlement de la part de son employeur ne répondait pas à la définition de « violence dans le lieu de travail » incluse dans le Règlement, et qu’ainsi l’employeur n’était nullement dans l’obligation de nommer un « enquêteur compétent ».

 

  • Un mois plus tard, notre agent de négociation, l’Alliance de la fonction publique du Canada, demanda à la Cour fédérale d’entreprendre un examen judiciaire de la décision rendue par l’agent d’appel du Tribunal. Comme vous pouvez le lire ci-dessus, la Cour a rendu sa décision le 13 novembre dernier.

L’honorable juge Manson, après avoir entendu l’affaire devant la Cour fédérale, a rejeté la position du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada selon laquelle la « violence dans le lieu de travail » devrait être limitée à une force physique causant un dommage, une blessure ou une maladie. Dans la décision de la Cour, le juge précise que le harcèlement et l’intimidation psychologique imposés au membre pourraient raisonnablement lui causer des dommages ou maladies, et pourraient entrer dans la portée de la définition de « violence dans le lieu de travail ».

Quant à savoir si un(e) représentant(e) de l’employeur peut être considéré(e) comme étant une « personne compétence » pour procéder à une enquête sur une plainte, la Cour a déclaré que le directeur régional de l’ACIA, dans le cas en l’espèce, nétait pas compétent du fait que le membre n’avait pas accepté que le représentant de la direction était une partie impartiale une fois l’allégation de violence au lieu de travail non réglée à l’étape de l’examen préalable.

Le juge Manson a conclu qu’une « personne compétente » doit répondre à trois tests : être impartiale et considérée comme telle par les parties; avoir des connaissances, une formation et de l’expérience dans le domaine de la violence dans le lieu de travail; et connaitre les textes législatifs applicables.

La Cour a en outre déclaré que l’examen préalable par l’employeur est limité à la recherche de faits dans le but de régler le différend avec l’employé et de faciliter la médiation. Si l’allégation de violence au lieu de travail n’a pu être réglée après cet examen préalable, l’employeur est alors obligé de procéder à la nomination d’une « personne compétente » pour faire enquête sur la plainte. Dans le cas en l’espèce, du fait qu’il n’y a pas eu d’enquête adéquate par une « personne compétente », selon la définition qui en est donnée dans le Règlement, l’agent d’appel du tribunal n’a pas raisonnablement suivi le processus.

Ayant accepté la demande d’examen judiciaire formulée par l’AFPC, le juge Manson a retourné le dossier à l’agent d’appel du Tribunal pour qu’il prenne une décision conforme aux conclusions de la Cour.

L’ombre au tableau vient du fait que l’ACIA a pour habitude d’ignorer les ordres qui lui sont donnés d’honorer ses obligations en matière de violence au lieu de travail. Il ne fait aucun doute que la direction a tiré des leçons de cette expérience, à savoir que les ministères et agences responsables de la mise en application des décisions de justice et de tribunaux sont bien connus pour être plutôt complaisants dans leurs actes. En fait, le ministère chargé de l’administration du Code canadien du travail, à savoir Emploi et Développement social Canada, viole tout simplement la politique sur la mise en application des décisions pourtant affichée sur son site Web !

Nous allons exercer des pressions sur la direction de l’ACIA pour qu’elle respecte la décision du juge Manson et assume intégralement les obligations qui sont les siennes en ce qui concerne cet ordre juridique.

 

(La Cour fédérale n’a pas encore traduit la décision du juge Manson rendue en anglais. Nous l’afficherons sur notre site dès que nous aurons reçu des copies dans les deux langues officielles. Entre-temps, sachez que vous pouvez vous procurer la version anglaise sur simple demande auprès du Syndicat de l’Agriculture.)