La salubrité des aliments – tout va bien, ne vous en faites pas!

Par Bob Kingston

Les inspecteurs et inspectrices, de même que les gestionnaires de la salubrité des aliments à l’Agence canadienne d’inspection des aliments, partagent un point de vue identique sur la pertinence des ressources à leur disposition pour faire leur travail.

Les personnes avec lesquelles je me suis entretenu me disent qu’elles doivent se livrer à un véritable exercice de jonglerie, tous les jours, pour décider quel travail peut être laissé de côté, tout en espérant que personne ne tombera malade à la suite de cette décision. Elles n’ont tout simplement pas le personnel ni le temps nécessaire pour faire tout ce qui devrait l’être afin de vérifier que les entreprises alimentaires respectent bien les mesures de sécurité alimentaire.

Mais, bien sûr, elles ne peuvent pas en parler publiquement. Elles sont en effet empêcher de le dire haut et bien fort de peur de perdre leur emploi. La confiance du public doit être maintenue coûte que coûte.

Cette façon de voir les choses (tout va bien, ne vous en faites pas) en ce qui a trait à la salubrité des aliments, infecte les plus hauts niveaux du système de sécurité alimentaire du Canada.

Sur les conseils de l’Agence canadienne d’inspection des aliments, la ministre de la Santé, Rona Ambrose, a qualifié les commentaires publics du syndicat des inspecteurs et inspectrices des aliments sur la médiocrité des inspections destinées à protéger les consommateurs et consommatrices, d’irresponsables et ne faisant qu’inquiéter la population.

On ne peut blâmer la ministre Ambrose d’avoir accepté de tels conseils sans les mettre en doute du fait qu’elle vient tout juste d’assumer quelques responsabilités de l’Agence et qu’elle n’a probablement pas eu le temps de s’entretenir avec qui que ce soit en dehors des bureaux des dirigeants de l’Agence à Ottawa.

Si elle le faisait – ce que je fais d’ailleurs tous les jours –, elle se rendrait alors compte qu’un grand nombre de problèmes très sérieux, dans le domaine de la salubrité des aliments, ont été passés sous silence depuis bien longtemps, et qu’il en est toujours ainsi.

Prenons, à titre d’exemple, les conclusions de l’enquête menée par Sheila Weatherill sur les causes de l’épidémie de listériose à la Maple Leaf Foods, à l’été 2008, qui a entraîné le décès de 23 personnes innocentes.

Mme Weatherill a en effet conclu que l’ACIA n’avait aucune idée du nombre d’inspecteurs et inspectrices qui étaient nécessaires pour s’assurer que les aliments étaient produits en toute sécurité après la mise en place d’un nouveau système d’inspection.

Pour éviter qu’une tragédie comme celle de Maple Leaf se répète, elle a recommandé que l’ACIA procède à une vérification permettant de déterminer précisément la demande sur ses ressources d’inspection et le nombre d’inspecteurs requis.

Six ans ont passé et Ottawa a pris des mesures liées à cette recommandation, mais uniquement pour son programme de viande transformée. La vérification a révélé que le programme manquait énormément de personnel et que l’ACIA avait par la suite augmenté ses effectifs de près de 100 %.

Toutefois, aucun autre programme d’inspection n’a fait l’objet d’une vérification de la sorte et ce, alors qu’un grand nombre d’autres produits posent de sérieux risques de maladies d’origine alimentaire. À ce jour, l’ACIA est toujours mal informée à propos des demandes sur ses ressources d’inspection ou encore du nombre d’inspecteurs et inspectrices requis pour que le système soit efficace pour tous les programmes, sauf celui-ci.

La population canadienne se souviendra sûrement de l’épidémie du colibacille (E. coli) à l’établissement XL Meat en Alberta qui a rendu malades au moins sept personnes et nécessité le plus grand rappel de viande dans l’histoire de notre pays.

Une enquête a notamment conclu que les inspecteurs et inspectrices de l’ACIA avaient reçu pour instructions d’ignorer certains problèmes d’hygiène et produits carnés contaminés.

A notre époque où le commerce est mondialisé et les aliments disponibles depuis toutes les régions du monde, le but de l’inspection des importations n’est pas d’empêcher que des aliments insalubres se retrouvent sur les étagères de magasins d’alimentation – environ 2 pour cent seulement des aliments importés au Canada sont inspectés.

La grande majorité des inspections des importations a pour but de protéger les végétaux et la santé animale, non pas la santé des êtres humains. Les inspections des produits destinés à la consommation humaine cherchent principalement à contrôler les tendances et non pas à empêcher que des produits dangereux se retrouvent sur les étagères des épiceries.

Par exemple, dans la situation peu probable où l’ACIA lors de l’inspection d’une cargaison de produits frais s’aperçoit qu’elle est contaminée par un insecticide ou fongicide (du fait qu’elle est recouverte d’une poudre blanche), les résultats de tests de laboratoire ne seraient disponibles qu’une fois les produits rendus depuis bien longtemps dans nos assiettes.

Alors que l’ACIA a tout récemment mis en œuvre un nouveau programme d’octroi de licence aux importateurs, il n’y a pas eu pour autant d’ajout d’inspecteurs ou inspectrices dans les effectifs de l’Agence pour contrôler ces entreprises ou examiner leurs documents.

Lorsqu’il est question des inspections pour la protection des consommateurs et consommatrices, le syndicat des inspecteurs et inspectrices des aliments a fait savoir publiquement que l’ACIA manque véritablement d’uniformité dans l’application des règlements.

Il se trouve que des journalistes ont récemment découvert des documents révélant que l’ACIA disposait de preuves de fraude alimentaire à Vancouver et qu’elle a autorisé, en toute connaissance de cause, une boulangerie a continué de vendre du pain étiqueté comme étant biologique alors qu’il était fait à partir d’ingrédients non-biologiques. L’ACIA s’est tenue en dehors du cours des événements et n’a même pas pris la peine d’avertir les consommateurs et consommatrices qui ne se méfiaient de rien.

Cela explique peut-être les raisons pour lesquelles l’Agence n’a pas entamé une seule poursuite pour fraude alimentaire dans la région de Vancouver en cinq ans.

La décision de dissoudre la section des inspecteurs et inspectrices du Grand Vancouver, laquelle se consacrait à la mise en application des lois sur les fraudes alimentaires, en est une qui est toutefois étonnante. En effet, sans surveillance proactive – quelle qu’en soit la fréquence – il n’y a aucune mesure de dissuasion pour empêcher les entreprises qui veulent escroquer les consommateurs et consommatrices, de le faire !

Les Canadiennes et Canadiens ont le droit d’avoir un étiquetage de produits qui soit exact pour savoir ce qu’ils ou elles achètent.

Nous sommes confrontés à un problème sanitaire du fait qu’en raison de troubles médicaux ou allergies un grand nombre de personnes doivent impérativement éviter de consommer certains aliments ou ingrédients.

À défaut de soulever publiquement ces problèmes, il faudra que de plus en plus de personnes tombent malades avant que des améliorations ne soient apportées à la situation actuelle. Cette approche est tout à fait irresponsable.

Bob Kingston est le président du Syndicat de l’Agriculture (un Élément de l’AFPC) qui représente les inspecteurs et inspectrices qui travaillent à l’Agence canadienne d’inspection des aliments.